Scriptores

2010 – Scriptores N.3 jg.25

sciptores.redactie@gmail.com

 Texte:  Sophie Verbeek

Traduction Neerlandaise:  Steven Vermeylen         

Scriptores est un magazine Néerlandais spécialisé dans la calligraphie

 

 

 

 

 

 

 

En fait, votre nom « Verbeek » est très commun en Flandre/Belgique. Votre famille est-elle originaire de notre région ? Est-ce que vous avez encore des contacts avec notre pays ?

J’ai pris le nom de Verbeek, suite à mon mariage avec mon mari, qui est de nationalité Hollandaise. Je sais que cela est un nom très commun en Belgique et en Flandres, mais ici en France c’est un nom assez rare! Mon nom de jeune fille est Sophie Mussat. La famille de mon mari est originaire d’Eindhoven. Ma belle-sœur et sa famille habitent Anvers. Mes beaux-parents viennent tout juste de rentrer en Hollande, après avoir passé 30 ans aux Etats-Unis. Je pense que suite à cela; j’aurai beaucoup plus de contact avec les Pays-Bas. Bien qu’étant française, je me considère plutôt comme citoyenne du monde, ayant longtemps habité à l’étranger…

 

Vous avez entamé des études de commerce. Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir artiste ?

J’ai fais des études de commerce, car à l’époque je ne savais pas dans quelle direction m’orienter. Mes parents, ne croyant pas à mes talents artistiques, m’avaient persuadé que les études de commerce me permettraient plus tard de trouver du travail. Ma décision de devenir artiste s’est réalisée bien plus tard à l’âge adulte, quand j’ai compris ce qui m’animait intérieurement. Dès l’âge de 15 ans, quand je vivais en Angleterre, j’aimais passer de longs moments dans ma chambre à dessiner, tricoter, broder ou peindre. Ces activités étaient comme une bouffée d’oxygène qui me permettaient de m’échapper d’une atmosphère familiale tendue. Ce n’est uniquement à l’âge adulte, que je me suis permise de réaliser mon rêve. Cette dimension artistique me donne la possibilité d’explorer mon intérieur, de me poser des questions sur le monde, sur la vie et sur moi-même. Cela me donne une voix, un regard, une parole. Je creuse en moi des idées, des sensations et des émotions et cela m’aide à mieux me comprendre et donc à mieux comprendre le monde qui m’entoure. J’ai longtemps été habité par la colère, la révolte et la rébellion… l’Art m’a permis d’exprimer ces émotions et petit à petit à me réconcilier avec moi-même et à m’en libérer. Je pratique également le yoga, le Qi-Cong et la méditation qui m’aident à créer un espace intérieur, vide de toute émotion, propice à la création et au lâcher prise. Dans le silence, la tranquillité et la quiétude, je visualise mes futures créations, je laisse venir les idées, les ambiances et les couleurs pour ensuite me fondre dedans…

 

Qu’est-ce que des artistes comme Dotremont, Hartung et Alechinsky vous ont ‘appris’ ?

Habitant à Dijon, j’ai suivi pendant 3 ans, des cours d’histoire de l’art, à l’université pour tous. C’est là que j’ai découvert les œuvres de Dotremont, Hartung et Alechinsky. Les jeux de noirs et blancs et de graphismes me fascinèrent. En parallèle, je commençais des cours de calligraphie classique, qui me laissèrent sur ma faim. Je voulais aller plus loin, et je sentais qu’il y avait d’innombrables possibilités, surtout ayant ces peintres comme modèle! Dotremont est un génie du noir et blanc, des formes et des contres formes. Il anime l’espace d’un coup de pinceau que je trouve admirable. Son univers est fait de dualité, intense et obscure à la fois. Hartung m’a fasciné par sa démarche. Il a passé sa vie a chercher des styles de graphismes variés et divers, à les classer, et ensuite à les exploiter en utilisant des outils extrêmement différents, passant de la plume, au crayon gras, au pinceau chinois, au rouleau ou au balais pour finir avec des giclures faite avec un tuyau d’arrosage! Quelle imagination! J’adore Alechinsky pour la poésie de son trait, pour son sens de la mise en page et pour la faculté qu’il a de nous raconter des histoires. Un artiste doit nous faire rêver, il doit nous prendre par la main et nous raconter son univers, sa vision des choses, que cela soit fait avec gravité, avec des couleurs ou d’un trait de pinceau, qu’importe! L’artiste doit nous amener là où il veut que l’on aille! Un tableau réussit est un tableau qui ne nous laisse pas indifférent.

 

Vos rencontres avec Roger Willems et Brody Neuenschwander ont été très importantes pour votre œuvre. Pouvez-vous nous expliquer dans quel sens ?

 

J’ai rencontré Roger Willems quand j’ai déménagé de Dijon en Belgique. Roger a été un catalyseur. Je n’avais jamais vu de calligraphie contemporaine avant… Nous avons repris mon apprentissage dès le début…. j’allais le voir tous les mois avec ma fourre sous le bras remplis de travaux, et lui patiemment, épluchait chaque travail et me le commentait. Son regard m’a énormément appris à prendre du recul face à ce que je faisais. Roger est un merveilleux personnage remplit de sensibilité et d’humilité. Il me faisait ressentir les choses avec mes sens et pas avec mon intellect. C’est cet apprentissage, qui ma beaucoup marqué. Il est également un grand admirateur de Dotremont. C’est lui qui m’a appris à manier le pinceau chinois. Ma rencontre avec Brody fut beaucoup plus courte, car je n’ai suivi que deux stages de deux jours avec lui, mais elle a été déterminante dans mon attitude face à mon travail. Il m’a fait comprendre l’importance du lâcher prise, d’aller au-delà de la lisibilité et de l’esthétisme. C’est quelqu’un qui se pose beaucoup de questions et j’ai aimé cette dimension, cette quête du sens dans son travail. A chacun d’entre nous d’explorer son chemin, son histoire et ses propres passions, pour développer un style et une créativité toute personnelle.

 

Etes-vous toujours membre des Doigts Noirs ?

Les Doigts Noirs est un groupe de calligraphes français, belge et italien qui se réunissait tous les ans pour travailler et réfléchir ensemble sur la calligraphie. Après 10 ans de recherche graphique, il semblerait que le groupe aurait besoin de faire une pause. Je profite de cet espace qui m’est offert pour les remercier des bons moments que nous avons passés ensemble. Ces dix années m’ont permis un questionnement face à mon travail, qui m’aide encore aujourd’hui.

 

Coté technique, quels sont vos instruments et matériaux (plume, support…) préférés ?

Après la sortie de mon livre « Quelques Fleurs du Mal » des Editions Alternatives, j’ai eu un gros problème de tendinite au bras droit. J’en avais trop fait pendant trop longtemps. Trop de gaufrage, de frottage et de calligraphie en tous genre… Mon tempérament passionné et intense, m’avait rattrapé… La douleur musculaire ma fait prendre conscience des tensions qui étaient en moi. Je n’avais plus le choix, je devais me remettre en question… Ne pouvant plus tenir les outils d’une façon classique, j’ai commencé à explorer la tenue de l’outil d’une façon beaucoup plus lâche. Par le lâcher prise, j’ai découvert une douceur, une tendresse et une fragilité qui étaient logés tout au fond de moi. Se faisant, j’ai découvert des variations de lignes vraiment intéressantes qui me faisaient penser aux végétaux que je côtoie tous les jours, car j’aime me promener dans la forêt jurassienne. Cela a donné le petit livre  » Promenade d’écritures végétales » qui est un recueil de textes et d’aquarelles calligraphiés, inspirés des textures, des couleurs et des odeurs que la nature nous offre. L’écriture des textes m’a permis de découvrir le plaisir de créer mes propres mots, afin de réaliser des travaux de plus en plus personnels. Je ne cherche plus la technique, la virtuosité ou l’esthétisme dans mon trait, mais plutôt le lâcher prise, l’émotion, la fragilité, l’humilité…. la calligraphe en moi à disparue pour faire place à la femme-artiste tout simplement…. Côté technique, j’utilise tout ce qui me vient sous la main, plume pointue, plume d’oie, cola-pen, pinceau chinois, pinceau plat… ce n’est pas l’outil qui est important, mais l’émotion qu’il y a derrière l’outil et avec laquelle on se laisse porter pour tracer un trait ou une ligne. En ce moment j’utilise beaucoup la pipette car j’aime la fluidité des liquides qu’elle permet. Je joue, je m’amuse et je ris, détachée de la rigueur de la calligraphie classique! J’utilise souvent des papiers pour la gravure (BFK de Rives ou Hahnemühle) car j’aime leur pouvoir d’absorption et ils sont épatant pour le gaufrage; j’aime également les papiers d’aquarelles (Lana, Bockinford ou velin d’Arche) pour la capacité qu’ils ont de rendre les couleurs. Réalisant également des livres d’artistes en accordéon, le papier reste indispensable. J’ai également travaillé sur des supports en bois pour allier calligraphie et collage et pour faire des grands formats. Je sais qu’un jour je travaillerai sur toile. Pour l’instant le papier reste mon support de prédilection!

 

Vous donnez aussi des cours. Quel est votre « message clef » pour vos élèves ?

Suite à mes problèmes de tendinites, j’ai du arrêter de donner des cours de calligraphie, je ne me retrouvais plus dans cet apprentissage qui nécessitait une certaine rigueur. Cela m’a permis de considérer la calligraphie sous un autre angle. J’ai toujours eu un regard très vaste sur ce que j’appelle « calligraphie ». Pour moi, cela va beaucoup plus loin, qu’une belle écriture….j’ai plutôt envie de parler de souffle, de rayonnement, de graphisme ou de poésie … l’esthétisme peut également être présent dans la laideur, car c’est l’émotion qui émane du tableau qui nous émeut…une calligraphie trop bien exécutée manque d’humanité et moi j’aime les hommes! J’aime la poésie qui se cache derrière les taches, j’aime la fragilité du trait qui tremble et j’aime les éclaboussures d’un trait exécuté avec vigueur. Le trait, la ligne ou les lettres doivent vibrer sous nos mains. Faisons de la calligraphie un art vivant, personnel et poétique! Quant à la mise en page, elle est aussi importante que la calligraphie, la forme ou le sujet traité. Apprendre à lire les blancs, comprendre pourquoi un tableau fonctionne, savoir choisir le bon outil par rapport au support, savoir maîtriser la lenteur comme la vitesse, la direction, la superposition des lignes, des blancs, des gestes, comprendre la forme et savoir la déformer… il y a tellement de paramètre à prendre en compte quand l’on pratique la calligraphie, que l’on peut dire sans fausse modestie, que c’est un art difficile! C’est pour cela qu’il est bon d’en sortir quelques fois, afin de mieux pouvoir y retourner!

Le message clef que j’ai toujours donné à mes élèves est la dimension de plaisir…. savoir ne pas se prendre au sérieux, savoir rire de ses erreurs, savoir jouer avec la ligne, le trait et l’encre, comprendre que l’on peut créer en jouant et en se laissant aller à s’étonner soi-même, à se découvrir, à s’autoriser des petites folies, à redevenir l’enfant qui est en chacun de nous….. et également à pleurer sur notre page blanche, à se laisser aller à la rage, à la colère et à la rébellion…. et puis, revenir au calme et vivre, oui, vraiment vivre le moment présent, s’émerveiller de tout et de rien…. savoir goûter la couleur sur notre langue, écouter la ligne sur la page et regarder avec le cœur ces alphabets qui nous parlent et nous chantent…. que cela soit des alphabets qui viennent d’orient ou d’occident, ils ont tous quelques chose à nous dire…. à nous de leur faire honneur et de jouer avec eux, que cela soit sous la forme lisibles ou illisibles, que cela soit sombre ou joyeux, le plus important étant de s’investir totalement et passionnément dans ce que l’on fait. J’ai également toujours incité mes élèves à ne pas uniquement pratiquer la calligraphie seule. Il est important de savoir manier les couleurs, les matières, les supports, de connaître l’histoire de l’écriture comme l’histoire de l’art, de s’intéresser à un ou deux peintre en particulier et essayer de comprendre pourquoi, il nous intéresse…. de se laisser influencer par tout ce qui nous arrive dans notre vie d’homme: chagrin, bonheur, douleur… tout est bon à prendre afin de le retranscrire dans nos activités artistiques. Puis, il y a la dimension des textes à ne pas négliger. Savoir les choisir et les associer à une écriture. Savoir aller au cœur des mots et pourquoi pas, écrire ses propres textes. L’essence étant de rendre son travail le plus personnel possible.

 

Quels sont vos prochains projets ?

Suite au travail réalisé pour le Prologue de Saint-Jean, qui nous parle du lien entre l’Homme et Dieu, j’ai décidé de continuer mon travail de fond sur le lien, mais cette fois ci, sous une forme plus ludique. Je suis actuellement, entrain d’écrire et d’illustrer un conte philosophique sur l’histoire d’un bouton de chemise et de fils ! Ce livre s’adressera à notre âme d’enfant qui est en chacun de nous… J’espère pouvoir publier ce livre fin 2010 et trouver un lieu d’exposition pour mes illustrations qui seront sous la forme de tableaux. En parallèle, j’ai d’autres projets sur le thème du lien, du fil et de la ligne, car le sujet est vaste! J’espère pouvoir vous en parler l’année prochaine…

Sophie Verbeek (2010)

 

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